Chronique de Guy Dupont parue sur atoutbridge.com
Telle est la question existentielle qui refleurit régulièrement, comme un marronnier. Elle est, actuellement, doublement d’actualité.
Le long combat qui opposait devant les tribunaux londoniens l’EBU (English Bridge Union), la fédération anglaise, à Sport England, l’organisation gouvernementale chargée d’attribuer des subventions aux différents sports (tout en leur permettant d’échapper à divers impôts ou taxes), vient de connaître son épilogue.
Pour Sport England, le bridge n’est pas plus un sport que le tricot ou la lecture. Il ne relève d’aucune activité physique, alors que cela doit être le cas de tout sport, par définition. Et de se référer à celle établie par le Conseil de l’Europe : « On entend par sport toute forme d’activité physique qui, à travers une participation organisée ou non, a pour objectif l’expression ou l’amélioration de la condition physique et psychique, le développement des relations sociales ou l’obtention de résultats en compétition de tous niveaux. »
Et alors, objecte la fédération anglaise ! « Dans la loi sur les associations de 2011, le Parlement a inclus les « sports de l’esprit », qui comprennent des activités bonnes pour la santé et qui font appel à des qualités physiques et mentales ». Elle fait aussi observer que la compétition au bridge est particulièrement éprouvante, « même si personne ne prétend que jouer au bridge c’est comme courir autour d’un stade. » Enfin, le CIO (Comité International Olympique) n’a-t-il pas reconnu la fédération mondiale de bridge comme une « fédération sportive internationale » ?
Toujours est-il qu’après moult échanges d’arguments, et de longs mois de procédures se terminant en appel, la Haute Cour de Justice a rendu son verdict : le bridge n’est pas un sport. Mais un jeu. Et vlan ! Une décision ressentie comme un joli pied de nez par l’EBU, quand le frisbee et le curling continuent à bénéficier des mannes de l’Etat anglais.
L’article 16
Et en France ?
Changement de décor ! Patrick Kanner, le ministre de la jeunesse, des sports et de la ville, a très officiellement reçu, et félicité, en février dernier, sous les lambris dorés de son ministère, l’équipe féminine française championne du monde de bridge. Et il l’a dit tout de go : « Le bridge est un sport ! »
Parfait. Mais on est en droit de se demander si le ministre a bien mesuré les conséquences d’une telle affirmation. Car sa déclaration se trouve en contradiction avec la réalité de la situation. En effet, en 2005, le ministère de la jeunesse et des sports avait rejeté la demande d’agrément de la FFB au titre de fédération sportive. Une décision motivée par le fait que le bridge n’était pas une activité physique, au sens de l’article 16 de la loi du 16 juillet 1984. Dans la foulée, la fédération avait introduit un recours auprès du Conseil d’Etat. Mais celui-ci avait maintenu la décision ministérielle, rétorquant que le bridge, pratiqué à titre principal comme une activité de loisir mobilisant les facultés intellectuelles, ne tendait pas à la recherche de la performance physique. Et pas davantage, précisait-il, à l’occasion des compétitions internationales. Un argument qui n’avait pas vraiment convaincu la FFB. Est-ce que le tir au pistolet ou à la carabine, ou encore le tir à l’arc, qui sont au programme des JO, tendent à la performance physique ?
Forte de son nouveau et puissant soutien, la FFB repartira-t-elle à la charge ?
Médaille d’or olympique française
Un petit rappel historique, avant de refermer (provisoirement) le dossier. C’est à José Damiani, ancien président des fédérations française, européenne et mondiale, que l’on doit d’avoir mené la plus belle bataille pour la reconnaissance du bridge comme un sport. Non seulement il a obtenu du CIO, en 1999, que la fédération mondiale de bridge soit admise comme une fédération sportive internationale, mais il a encore réussi l’exploit de faire concourir le bridge aux JO d’hiver de Salt Lake City, en 2002, en tant que « sport d’attraction » (l’équipe de France féminine y avait – déjà – obtenu la médaille d’or).
L’Espagnol Juan Antonio Samaranch, alors président du CIO, et le Suisse Marc Hodler, vice-président, avaient été les artisans de cette importante initiative qui devait préfigurer l’introduction du bridge aux JO de Turin, en 2006. Mais l’un était en fin de mandat et l’autre est décédé dans cet intervalle…
J’avais eu l’occasion d’interviewer M. Samaranch, lors d’un des trois Grands Prix de bridge du CIO, organisés au Musée Olympique de Lausanne, en 1998, 1999 et 2000, et il m’avait déclaré : « Je suis incapable de vous donner une définition exacte du sport. Mais, pour moi, le bridge est un sport et il fait partie de la grande famille olympique. » L’interview avait été reprise par le service des sports de France 3 et avait entraîné quelques remous et interrogations, plutôt défavorables, dans les salles de rédactions sportives, peu enclines à accepter d’intégrer cette nouvelle discipline comme une petite sœur du foot, du rugby, du cyclisme, du saut à la perche ou de l’haltérophilie.